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Tout à l'heure, je suis rentrée chez moi machinalement. J'ai regardé partout sauf où je devais mettre mes pieds. Je ne suis pas tombée, je n'ai pas trébuché.
J'aurais voulu avoir les yeux humides, mes lentilles collent par ce temps. Quand il fait trop chaud, et que j'ai trop ouvert/fermé les yeux. Quand j'ai trop fixé. Quand j'ai trop dévoré des yeux et qu'on me le reproche...
Sur le chemin, j'ai croisé deux personnes. Du lycée, que je connais de vue, mémoire visuelle oblige, dont une qui a le droit à un léger sourire en guise de "bonjour". Aujourd'hui aussi, je lui ai souris. Il a dit "Salut", du moins, je le suppose, je n'ai rien entendu. Assourdie par ma musique et mes pensées, je n'ai pu que lire sur ces lèvres un sourire de "Salut", en marchant.
- Ellipse -
Hier soir, dans le RER, en rentrant de Paris, je me suis assise à côté d'un petit bonhomme. Il ne devait pas avoir plus de trois ans. Blondinet, yeux verts, mignon comme tout. Un pantalon bordeaux, une chemise à carreaux. Cheveux courts. Assis en face de ses parents. Près du père, une poussette et un sac à dos posés au sol.
Il était près de la fenêtre.
Je m'assois à ses côtés, et je le regarde. Il me regarde. Puis il tourne la tête vers la fenêtre.
Maman, regarde, des rails !
Il gigote sur son siège. Il me regarde, et je le regarde. Je lui souris. Puis il tourne la tête vers la fenêtre. Je fais de même, je regarde au dessus de son petit corps par la fenêtre. Il fait nuit. Les lumières de Paris sont allumées.
Il tourne la tête vers moi. Je lui souris, il me sourit. Puis nous tournons nos yeux vers la fenêtre.
Quel sourire adorable, ce petit bonhomme. Des yeux malins, avec cette étincelle qui fera de lui un bel homme.
Après quelques sourires, je lui tire la langue. Il fait de même, avec un sourire jusqu'aux oreilles. Je recommence. Lui aussi. Son père le gronde, lui dit d'arrêter calmement, plutôt. Je l'interromps en disant que c'est moi qui ait commencé. Sa mère me sourit. Son père aussi.
Je regarde le petit bonhomme. Il me tire la langue, alors je lui dis qu'il faut arrêter, sinon papa va se fâcher. Il continue. Il regarde par la fenêtre. Moi aussi. Il se tourne vers moi, sa langue tirée.
Je le menace de la lui prendre, de la cacher, et de la donner à mon chien.
Et comme ça, tu seras bien embêté pour parler...
"Sûrement pas", rajoute sa mère.
Mon petit bonhomme est un bavard, alors. C'est donc pour ça. Il n'est pas timide. Pas comme moi. Je n'ai pas osé lui parler. Et pourtant j'aurais voulu lui demander son nom. Petit bonhomme.
Face à des gamins, je vaux plus rien. Il m'a intimidé, mon petit bonhomme. Oui, vraiment. Et je me sens stupide, un peu lâche, de ne pas lui avoir demandé, au moins, son prénom.
J'ai fini par lui piquer sa langue, à la mettre dans ma poche, et je lui ai juré que je la donnerai à manger au chien. Il a vérifié, avec ses petites mains blanches, si elle était toujours là. Mais je lui ai dit que non. Sa mère aussi.
Il sera bien embêté pour parler, mon petit bonhomme.